Critique ciné : Nomadland

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L’histoire

Nous sommes en 2011 et Fern, 61 ans, perd son emploi après la fermeture de l’usine US Gypsum dans la ville d’Empire, dans le Nevada ; elle y a travaillé des années avec son mari, récemment décédé. Fern prend alors la route à bord d’une camionnette, laissant sa maison et ses biens derrière elle. Sa destination : un centre d’approvisionnement Amazon qui l’embauche pour l’hiver, à la période charnière de Noël. Nous suivons alors l’odyssée de Fern à travers les paysages désertiques et rocailleux du sud-ouest et du nord des États-Unis, allant de ville en ville au gré des emplois temporaires que la jeune retraitée trouve pour survivre, à bord de sa camionnette qui est désormais sa seule maison.

Une aventure mêlant paysages, rencontres et solidarité au fil des saisons dans les zones rurales des États-Unis.

Sauf que Fern n’est pas un personnage de fiction.

NOMADLAND est un film basé sur le roman non-fictionnel du même nom publié en 2017 par Jessica Bruder, lui-même tiré de son article publié en 2014 en couverture du magazine américain Harper’s Magazine : “The End of Retirement: When You Can’t Afford to Stop Working” (La fin de la retraite : Quand on ne peut pas se permettre d’arrêter de travailler).

Cet article suit le parcours de Linda May, que l’on retrouve dans son propre rôle dans le film, et qui a inspiré celui de Fern. Après une vie d’emplois à faibles revenus qui ne lui avait jamais permise d’acquérir une sécurité financière durable ni une retraite, Linda se retrouve à 60 ans à survivre grâce à des emplois temporaires. Elle sera bientôt éligible à l’aide de la Sécurité Sociale mais le paiement mensuel qu’elle recevra ne couvrira même pas le loyer. Alors quand elle entend parler de Bob Wells, un ancien employé d’une entreprise de livraison de courses alimentaires divorcé et fauché qui emménagea dans une camionnette, qui partage ses astuces pour la vie en itinérance et affirme que certains “vandwellers” vivent avec 500$ ou moins, elle se dit qu’elle peut le faire aussi. Commence alors sa vie de nomade.

Comme l’explique encore l’article de Jessica Bruder, “à une époque où les retraites disparaissent, où les salaires stagnent et où les saisies immobilières se multiplient, les Américains travaillent plus longtemps et s’appuient plus que jamais sur la sécurité sociale, un programme conçu pour compléter la retraite (et non pour la financer entièrement)”. Contraints de continuer à travailler, les plus précaires n’ont pas d’autres choix que de prendre la route pour trouver du travail : “il existe un circuit national qui s’étend d’un océan à l’autre et jusqu’au Canada, un marché du travail dont les centaines d’employeurs publient des petites annonces sur des sites web tels que Workers on Wheels et Workamper News”. Vente d’arbres de Noël ou de citrouille à Halloween, cueillette de framboises dans le Vermont, de pommes dans l’État de Washington ou de myrtilles dans le Kentucky, entretien de camping, gestion des colis dans des centres Amazon, ou encore récolte annuelle de betteraves à sucre dans le Montana, le Dakota du Nord et le Minnesota avec des . de 12 heures, jour et nuit : les “workampers” (contraction de “work” et “campers”, un des noms que les nomades se donnent) se déplacent au fil des saisons et des opportunités en échange d’une place pour se garer ou d’un salaire horaire.

Malgré la nature physiquement fatigante de ces emplois, la main d’œuvre senior reste très pratique pour les employeurs à la recherche de saisonniers, et les programmes de recrutement de “workampers” sont devenus habituels pour des entreprises telles que Amazon.

La vie forcée de nomade de Linda May, et Fern, à un âge où la majorité des habitants des pays développés aspirent à une retraite paisible bien méritée, est en fait celle de millions d’américains âgés de 75 ans ou plus. Selon l’article du journal The Guardian « ’At 75, I still have to work’: millions of Americans can’t afford to retire” publié fin 2021, “au cours de la prochaine décennie, le nombre de travailleurs âgés de 75 ans et plus devrait augmenter de 96,5 % aux États-Unis” et plus de 15 millions d’adultes âgés de 65 ans et plus sont en situation d’insécurité économique, avec des revenus inférieurs à 200 % du seuil de pauvreté fédéral.

NOMADLAND, avec un rythme plutôt lent et sans climax émotionnel, ne choisit pourtant ni de divertir ni de faire larmoyer. La rudesse de cette vie subie nous est montrée au jour le jour, dans les plus petits détails de la vie quotidienne et dans les échanges entre ces nomades, qui se retrouvent pour partager leurs histoires de vie parsemée d’embûches, leur peine, leurs inquiétudes et des astuces pour donner un coup de neuf à une camionnette usée. Ils font partie des américains qui subissent les conséquences d’un système capitaliste sauvage qui ne laisse que peu de chances aux parcours cabossés par les accidents de la vie.

Un film beau, touchant, presque poétique, jamais dramatique grâce à la résilience et la ténacité de son héroïne qui apprécie sa liberté malgré la précarité, mais qui laisse un arrière-goût amer lorsque l’on sait qu’il ne s’agit pas d’une simple fiction.

La musique

Ludovico Einaudi, aussi connu pour ses compositions pour le film Intouchables et surtout la scène d’ouverture.

La musique de Ludovico Einaudi dans le film Nomadland : Ludovico Einaudi – Einaudi: Low Mist (Day 3) (From  »Nomadland »)

La photographie

La photographie, assurée par Joshua James Richards, fait la part belle aux lumières de l’aurore et du crépuscule, sur lesquelles se découpent les silhouettes des nomades et de leurs camionnettes.

Le sentiment de solitude et d’errance de ces nomades est soutenu par les plans larges des immenses espaces américains dépeuplés dans lesquels ils évoluent.

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D’autres films américains ont décidé de mettre en lumière les conséquences sociétales du capitalisme sur les plus vulnérables comme les thrillers juridiques et écologiques.

Dark Waters de Todd Haynes (2019) : thriller juridique et écologique, Dark Waters revient sur la bataille juridique menée par l’avocat Robert Bilott (Mark Ruffalo) contre le géant américain de la chimie DuPont pour le déversement d’un produit chimique toxique dans les réserves d’eau de Parkersburg, en Virginie-Occidentale, empoisonnant 70 000 habitants et des centaines d’animaux d’élevage. En 2017, après 19 ans de lutte, Robert Bilott a obtenu un règlement de 671 millions de dollars par DuPont pour ses clients.

Erin Brockovich de Steven Soderbergh (2000) : un autre thriller juridique et écologique, bien connu grâce à son actrice principale Julia Roberts, sur un empoisonnement de l’eau par une société de distribution d’énergie. Erin Brockovich est une mère célibataire de trois enfants au chômage. Suite à un accident de voiture, elle fait appel à un avocat qui ne l’aide pas à gagner son procès. Après l’avoir forcé à l’embaucher, elle découvre dans un petit dossier les tentatives de l’entreprise de masquer cet empoisonnement au chrome-6 et les maladies graves qui apparaissent chez les habitants. C’est sa détermination sans faille qui fera éclater la vérité.

The Big Short de Adam McKay (2015) : ce film au casting 5 étoiles (Christian Bale, Ryan Gosling, Steve Carell, Brad Pitt) et récompensé de l’Oscar du meilleur scénario adapté en 2016, retrace comment en 2005 à Wall Street, quatre experts en finance découvrent la bulle immobilière qui mènera à la crise financière de 2008 alors que tout le monde est aveugle. Ce film, assez dense pour qui n’est pas familier avec les produits financiers, montre la cupidité et la déconnexion de la réalité d’un système qui a mené à la plus grande crise financière mondiale du début du siècle.

Sources :

“The End of Retirement: When You Can’t Afford to Stop Working” – Harper’s Magazine https://harpers.org/archive/2014/08/the-end-of-retirement/

« ‘At 75, I still have to work’: millions of Americans can’t afford to retire » – The Guardian https://www.theguardian.com/money/2021/dec/13/americans-retire-work-social-security

Photo d’illustration : image extraite du film Nomadland avec l’actrice Frances McDormand © AFP – SEARCHLIGHT PICTURES – COR CORDI / COLLECTION CHRISTOPHEL